Theodouli Alexiadou, «T. Patrikios. I exelixi enos thematikou motivou.»
 
Elefsis, tch. 19, Volos, anoixi 1998, chronia 6i, ekdoseis Omiros, ss. 54-64.
 
 
 

« Le texte qui suit est un extrait d’une étude plus étendue intitulée « Η ποιητική εξέλιξη στο έργο του Τ. Πατρίκιου. » Au cours de l’examen du mode selon lequel « évolue » l’ensemble de la production d’un poète, il est inévitable et nécessaire d’étudier également la progression de sa thématique. Il va de soi que pareille entreprise implique également le choix à poser parmi des unités thématiques nombreuses, complémentaires ou indépendantes entre elles. Les multiples lectures nous ont mené à choisir un motif complexe qui domine dans l’œuvre du poète. Nous le qualifions de complexe car il s’appuie sur l’opposition initiale entre le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres mais, au fil de l’évolution, il est enrichi d’autres ingrédients, relevant du même thème ou complémentaires. Souvent, les titres des recueils de poèmes indiquent ou suggèrent les étapes de cette évolution thématique. Ainsi, la principale opposition est comme

suit :

-          Jour et nui, lumière et ténèbres.

-          Les yeux et la vision.

-          L’ « en face » et le « contre. » (Αντιδικίες, Αντικριστοί Καθρέφτες).

-          Le miroir et le reflet. (Αντικριστοί Καθρέφτες).

-          La déformation. (Παραμορφώσεις)

-          Le monde et le regard sur le monde.

-          Le regard du poète.

Il est à noter que, les deux derniers stades présentent un caractère de conclusion et non de sélection. Puisque le poète continue à écrire, les étapes de l’évolution ne cessent pas d’augmenter et le mode selon lequel il comprend le monde change.

Le chemin le plus court pour aborder l’évolution du motif est de choisir et d’étudier, en les comparant, des poèmes qui couvrent la totalité du corps poétique et dont chacun représente une étape différente. Nous préférons citer des strophes, voire, des poèmes entiers et les commenter à la lumière de l’expérience acquise au cours des nombreuses lectures de l’ensemble des poèmes. En suivant cette méthode, nous n’obtenons bien évidemment pas une analyse très détaillée et, bien entendu, le choix des poèmes est arbitraire. Nous évitons, toutefois, -et considérons cela de la plus haute importance- de citer une série d’extraits et de faire l’anthologie de mots et d’expressions qui, en fin de compte, ne donneraient pas l’impression de continuité que nous souhaitons souligner dans le présent travail.

Nous citons la troisième strophe du poème « Εωθινό » du recueil Επιστροφή στην ποίηση (1948-51) du volume Ποιήματα Ι (p. 21-22):

 

"Έρωτας παντού χυμένος

σα ρόδι που έσπασε στο πέτρινο κατώφλι

το φως σκίζει τις λέξεις

πριν ακουστούν ολόκληρες

μάτια μαχαιρωμένα απ' το φως

μαβιά πουλιά της αντηλιάς

λυτά μαλλιά λουρίδες ίσκιου

μια φούχτα ήλιος

μια βούλα καυτό μέταλλο

χρυσώνοντας την πύλη της ζωής.

Γκρεμίστηκε η φυλακή σου

τιμωρημένη σάρκα..."

 

(De l’amour coulant partout / comme une pomme de grenade cassée sur le seuil en pierre / la lumière déchire les mots / avant qu’ils ne soient entendus en entier / des yeux poignardés par la lumière / oiseaux noirs du contre-soleil / cheveux défaits rubans d’ombre / une poignée de soleil / une bulle de métal brûlant / dorant la porte de la vie. / Ta prison est démolie / chair punie…)

Et le poème « Συνήθειες των κρατουμένων » du recueil Χρόνια της πέτρας (1953-54) du même volume (p. 179):

 

"Κάθε πρωί ο ήλιος έβγαινε πίσω απ' τα φυλάκια

φορώντας μιαν άπλυτη πιτζάμα του νοσοκομείου

και διέσχιζε αργά το προαύλιο τ’ ουρανού.

Ύστερα από τόσα χρόνια

είχε κι εκείνος πάρει συνήθειες των κρατουμένων".

 

(« Tous les matins le soleil se levait derrière les postes de garde / en portant un pyjama d’hôpital sale / et il traversait lentement la cour du ciel / Après tant d’années / il avait lui aussi pris les habitudes des prisonniers. »)

Enfin, le poème « Σίφνος ή το παιχνίδι με τα ζάρια » du recueil Αντικριστοί Καθρέφτες (1980-88), (p. 84):

 

"Τα παιδικά μου καλοκαίρια

 τα 'ζησα ανάμεσα σε δύο κύβους.

Απάνω ο άσπρος κύβος του σπιτιού

 κάτω απ τα πόδια μου η στέρνα

αθέατος κύβος με σκοτάδι".

 

(« Les étés de mon enfance / je les ai vécues entre deux cubes / Au-dessus, le cube blanc de la maison / sous mes pieds la citerne »)

Les années qui séparent ces deux poèmes ne sont pas nombreuses, mais elles jouent un rôle déterminant sur la manière dont le poète voit les choses. Ce qui change de façon radicale c’est l’éclairage. En effet, bien que le moment du jour soit le même, l’aube (« εωθινό » (de l’aube) est le titre du premier poème et ..« κάθε πρωί ο ήλιος έβγαινε... » (tous les matins le soleil se levait…) lisons-nous dans le second), toutefois dans les vers de 1948, l’on a l’impression d’un éclairage vertical et d’un soleil à son zénith, tandis que, dans le poème de 1953, l’éclairage est oblique et faible. Certaines expressions, telles que "άπλυτη πιτζάμα του νοσοκομείου" (pyjama d’hôpital sale) ou "διέσχιζε αργά το προαύλιο" (traversait lentement la cour) rappellent un soleil malade et mou, par opposition au "καυτό μέταλλο" (métal brûlant) et à la lumière qui "σκίζει τις λέξεις" (déchire les mots), du premier poème.

Si nous avons choisi de comparer ces deux poèmes c’est que, bien qu’ils expriment des vécus et des états psychologiques entièrement différents, ils ont un dénominateur commun : la prison. Dans « Εωθινό », le poète résiste et invite les hommes à lutter. Il compose un appel des morts et des vivants. La prison est démolie et la lumière est libérée. « Γκρεμίστηκε η φυλακή σου/ τιμωρημένη σάρκα... » (ta prison est démolie / chair punie) et « ... μάτια μαχαιρωμένα απ' το φως... » (yeux poignardés par la lumière). Le regard poétique, à cette époque-là, est optimiste et tourné vers l’avenir. D’ailleurs, le titre du poème n’est absolument pas dû au hasard. Le terme « εωθινό » signifie, bien entendu, « matinal » mais il signifie également, en tant que substantif, la « sonnerie du clairon », c’est-à-dire, le réveil des hommes à l’armée. « ... Συναγερμός, στα όπλα... » (« Alerte, aux armes… », lisons-nous dans un des derniers vers. En outre, les « Εωθινά Ευαγγέλια » (évangiles des matines) est le nom donné aux onze passages des Evangiles qui sont lus lors de la Messe des matines chaque dimanche, car ils font référence à la Résurrection du Seigneur qui eut lieu « à l’aube. » C’est donc là la raison d’être des vers « ta prison est démolie / chair punie... » Mais, le poème « Συνήθειες των κρατουμένων » (habitudes des prisonniers) est composé par le poète aux années de l’exil et la prison existe, bien que sans être nommée, derrière chaque mot : prisonniers, postes de garde, pyjama sale, hôpital, cour. Le soleil, symbole de l’espoir, est transformé en symbole d’incarcération. Il flétrit et n’est plus en mesure d’indiquer la différence entre le jour et la nuit. Le temps est aplani, la nature et l’homme sont emprisonnés.

Le poème « Σίφνος ή το παιχνίδι με τα ζάρια » (Sifnos ou le jeu de dés) est nettement postérieur. Le poète est dorénavant loin de sa jeunesse et des évènements politiques marqués. Il est en mesure de voir les choses depuis une certaine distance.  Le vécu n’incite plus à composer de la poésie sur l’actualité. A présent, la mémoire et la réflexion le poussent à la cristallisation des symboles et à la géométrie d’une pensée philosophique. Les choses acquièrent un contour et une forme, sont indiquées par l’intermédiaire des oppositions avec précision et sobriété mathématique. La lumière est indiquée de façon indirecte, l’enfance et l’été fonctionnent comme une métonymie du soleil et de la lumière. Le sujet poétique se trouve entre le blanc et le noir, le visible et l’invisible, le familier et le non familier. La maison est identifiée à la lumière et elle est ce que le poète connaît et vit, le passé et le présent. La citerne s’identifie au noir et à l’inconnu, à l’avenir mais aussi à la mort. Le poète regarde sa vie et ce qui rend, à présent, son regard différent c’est la fonction de la mémoire et la distance temporelle. Et, alors que dans les deux poèmes précédents, l’éclairage est matinal, dans le troisième, le soleil se trouve réellement au zénith, il est midi, et les contrastes chromatiques sont absolus : lumière et noir. Le point de vue poétique, agissant en même temps comme synthèse et abstraction, est dorénavant déterminé par un perspective en rapport avec les évènements, perspective qui met en valeur de façon plus claire le contour des choses.

En suivant l’évolution du motif nous arrivons, avec ce dernier poème, dans sa seconde version : les yeux et la vision. Sur ce point, nous renvoyons aux quatre derniers vers de la quatrième unité du poème « Μεγάλο Γράμμα » (1952), du volume Ποιήματα Ι (p. 61)

"Ένας ορίζοντας τα μάτια μου σε τυλίγουν. Όπου κι αν κοιτάξεις θα δεχτείς το βλέμμα μου. Κι εσύ κοιτούσες παντού".

(« Un horizon mes yeux t’entourent. / Où que tu regardes tu recevras mon regard. / Et toi tu regardais partout. »)

 

En outre, dans le poème « Η άλλη πόλη » du recueil Θάλασσα Επαγγελίας (p. 29):

 

"Την άλλη μέρα του ονείρου βγήκε ένας ήλιος τόσο μαύρος που κι οι τυφλοί βλέπαν διπλό σκοτάδι"

(« Au lendemain du rêve, il s’est levé un soleil tellement noir que même les aveugles voyaient doublement noir »)

Rome, septembre 1961

 

De même que dans « Ιστορία του Οιδίποδα » du recueil Προαιρετική Στάση (p. 21):

"Θέλησε να λύσει τα αινίγματα

να φωτίσει το σκοτάδι

που μέσα του βολεύονται όλοι

όσο κι αν τους βαραίνει.

Δεν τρόμαξε απ' τα όσα είδε

μ' από την άρνηση των άλλων να τα παραδεχτούν.

Θα 'μενε πάντα η εξαίρεση;

Δεν άντεχε πια τη μοναξιά.

και για να βρει τους διπλανούς του

έχωσε μες στα μάτια του βαθιά

τις δύο περόνες.

Πάλι ξεχώριζε με την αφή τα πράγματα

που κανείς δεν ήθελε να βλέπει".

 

(« Il voulut résoudre les énigmes / éclairer le noir / dans lequel tout le monde s’installe confortablement / peu importe combien il leur pèse. / Il n’était pas effrayé par tout ce qu’il vit / mais par le refus des autres de les admettres. / Serait-il toujours l’exception ?/ Il ne supportait plus la solitude / et pour retrouver ses proches / il s’enfonça profondément dans les yeux / les deux broches. / Et toujours il distinguait au toucher les choses / que personne ne voulait voir. »)

Il s’agit de trois poèmes qui appartiennent à trois décennies différentes. En comparant les deux premiers, l’on comprendra combien change le regard du poète d’un poème à l’autre. Dans « Μεγάλο Γράμμα », le regard est illimité, les yeux « regardent partout » et, en même temps, « entourent » la personne aimée. Il y a deux pairs d’yeux, l’une en face de l’autre. Les deux se regardent l’une l’autre et, en même temps, regardent le monde entier. Universalité du regard, vue panoramique de l’humanité avec l’amour pour déclencheur. Mais, dans le second poème, les choses ne se passent pas ainsi. Là, les limites entre le rêve et la réalité se confondent. Le rêve symbolise le jour et la lumière, tandis que la réalité se transforme en cauchemar et s’identifie au noir. L’exagération touche au tragique. Le soleil est « tellement noir » que même les aveugles se rendent compte de la différence. Ce sont, toutefois, aussi probablement les seuls à pouvoir supporter le noir absolu. L’on note que seul le premier vers exprime la possibilité de la vision qui, néanmoins, est trompeuse, puisqu’il s’agit d’un rêve. Les trois vers qui suivent sont composées de contrastes en chaîne : soleil # tellement noir, les aveugles # voyaient, voyaient # le noir. Ces contrastes aboutissent à l’apogée : double noir. Dans les faits, le poème ne contient pas une seule trace de lumière.

Dans « Ιστορία του Οιδίποδα », le conflit entre celui qui voit et ceux qui ne voient pas devient plus dramatique. La lumière signifie probablement la vérité et la solution de l’énigme. L’énigme s’identifie au noir. Œdipe est tragique, car il est condamné à voir, même lorsqu’il choisit lui-même de se rendre aveugle. Ce qui lui fait peur ce n’est pas la vérité mais sa solitude. Il est un héros constamment sur la corde raide entre la lumière et le noir. D’après le mythe, Œdipe résout l’énigme qui lui posèrent le Sphinx et les Muses. Il est donc probable que, dans ce poème, il y ait une allégorie du poète qui s’efforce de résoudre l’énigme humaine. Mais, en même temps, le rapport Œdipe – noir indique également le rapport qu’entretient le rebelle avec la réalité. Le héros de Patrikios est et n’est pas, en même temps, prisonnier du destin. C’est consciemment qu’il résout les énigmes (« il voulut » est le premier mot du poème), c’est consciemment qu’il s’aveugle, c’est consciemment qu’à la fin il choisit à nouveau la vérité. Peut-être que, en fin de compte, Œdipe soit une combinaison du poète et de rebelle et que son histoire soit l’histoire et la confession du poète lui-même.

Les yeux et la vision s’identifient, au fur et à mesure que le motif évolue, dans le sens du choix personnel et de l’attitude de chaque homme et, particulièrement, du poète, face à lui-même et à la vérité. Nous en arrivons, donc, à l’artifice du miroir mais, aussi, à la mise en place du « en face » et du « contre. » Les poèmes que nous citerons proviennent des recueils Αντιδικίες et Αντικριστοί Καθρέφτες.

Le premier est intitulé « Γνωστή αντίθεση » et appartient au recueil Αντιδικίες (1955) της Μαθητείας (p. 68):

 

"Και πάλι η γνωστή αντίθεση:,

Εγώ, κ' οι άλλοι.

Ακόμα κι ο εαυτός μου γίνεται ένας ξένος

που μ' αντιστρατεύεται.

Κι αφήνομαι στη μοναξιά,

μοναδικό μου καταφύγιο

όταν μετατοπίζω τις ευθύνες

ξεχνώντας πόσο για κείνους είμαι ο άλλος

                   πόσο τους εξωθώ κ' εγώ στη μοναξιά τους"

(« A nouveau l’opposition familière : / Moi et les autres. / Même moi devient un étranger / qui s’oppose à moi. / Et je me laisse aller dans la solitude, / seul refuge / lorsque je déplace les responsabilités / oubliant combien, pour eux c’est moi qui suis l’autre / combien je les pousse moi aussi vers leur solitude. »)

 

Le second poème provient du recueil Αντικριστούς Καθρέφτες (p. 7), est intitulé « Το είδωλο » et est celui qui ouvre le recueil :

 

"Τύλιγαν τον καθρέφτη εσωτερικά φυτά σκέπαζαν το είδωλο σου χάδια χεριών που χάθηκαν ψαξίματα χεριών που ακόμα δεν σ' αναγνωρίζουν".

(« Des plantes d’intérieur entouraient le miroir des caresses de mains perdues couvraient ton reflet des recherches de mains qui ne te reconnaissent pas encore. »)

 

Le poème « Παγίδες ποιητών » appartient lui aussi au même recueil (p.

74):

"...Στάθηκα στη μέση της κάμαρας και κοίταξα όλο το ανεκπλήρωτο της ζωής μου.

(Je me tenais au milieu de la pièce et regardait tout l’inaccompli de ma vie).

ΤΑΣΟΣ ΛΕΙΒΑΔΙΤΗΣ

-Μην τους πιστεύετε τους ποιητές

όταν μιλάνε γι' ανεκπλήρωτο της ζωής τους·

μ' αυτό το ανεκπλήρωτο πληρώνουν τη ζωή τους

πληρώνοντας και τη ζωή των άλλων.

 

-Να τους πιστεύετε τους ποιητές

όταν μιλάνε γι' ανεκπλήρωτο της ζωής τους·

ο λόγος τους ποτέ δεν φτάνει να πληρώσει

τις άπληστες επιθυμίες που τους κάνουν ποιητές·"

 

(« Ne croyez pas les poètes / lorsqu’ils parlent de l’inaccompli de leur vie ; / c’est de cet inaccompli qu’ils paient leur vie / payant également celle des autres / -Croyez les poètes / lorsqu’ils parlent de l’inaccompli de leur vie ; / leur discours ne suffit jamais à payer / les désirs avides qui en font des poètes. »)

Dans Αντικριστοί Καθρέφτες nous rencontrons très fréquemment des termes tels que miroir, reflet, forme, masque, contour et, surtout, le mot « image. »  Ainsi qu’il a déjà été pertinemment noté, dans ce recueil, le sujet poétique se tourne vers lui-même, ce qui est a pour résultat un discours auto-référentiel et d’auto-confidence. Le titre du recueil et les termes que nous avons cités sont indicatifs d’une poésie et d’un poète qui sont à la recherche de leur vrai visage ou visages. Dans la majorité des poèmes, donc, il y a la mise en place du « en face. » Au contraire, dans Αντιδικίες qui sont antérieures, le discours mordant et adverse est évident. Le poète est séparé des autres, c’est la logique du « anti » (contre) qui domine.

Dans le poème « Γνωστή αντίθεση » (Opposition familière) nous identifions plusieurs points communs avec le poème « Ιστορία του Οιδίποδα », à la différence que dans le poème de Αντιδικίες le sujet poétique considère dorénavant sa solitude comme un refuge, bien qu’il ne se sente plus étranger uniquement par rapport aux autres mais aussi par rapport à lui-même. Des termes tels que : opposition, les autres, étrangers, s’opposer, refuge et solitude, indiquent la rupture entre le moi poétique et la réalité qu’il aperçoit. Les deux derniers vers, toutefois, suggèrent la relativité de la place des termes du couple d’opposés moi – les autres. Nous avons, par conséquent, cité ce poème parce que, alors que le contraste est exprimé de façon marquée, il existe néanmoins quelques indices précoces d’une introspection poétique et de l’effort de comprendre la position des « autres. »

Dans « Παγίδες ποιητών », aucune référence directe n’est faite à la question du reflet.. Néanmoins, dans son ensemble, tant les vers du frontispice ainsi que la structure du discours suggèrent l’idée du miroir. Nous avons le sentiment que le poète se trouve entre deux miroirs, placés l’un face à l’autre, sans jamais pouvoir regarder les deux en même temps. Aucun autre poème du recueil ne renvoie aussi directement à l’intitulé de celui-ci (Αντικριστοί Καθρέφτες).  Le poète fonctionne, au même moment, comme observateur et comme reflet mais aussi comme miroir (dans la seconde strophe).  Il se tient au milieu du poème, exactement comme se tient « au milieu de la pièce » le poète auquel il renvoie – c’est la raison d’être du grand espace typographique vide entre les deux strophes. Dans la première strophe, il se trouve face à lui-même, à sa vie et aux autres et il exprime la façon dont il comprend la réalité. Dans la seconde strophe, il se situe face à l’image de lui-même et face à la poésie. Un va-et-vient constant entre l’observateur et le reflet, la vie et le désir, le réel et le non réel. Patrikios utilise même le phénomène du mirage – ce qui explique probablement le titre « Παγίδες ποιητών. » Le paradoxe réside en le fait que lui-même accepte comme véridique (« Croyez-les… ») l’ « image trompeuse », celle qui a trait au désir. Nous notons une alternance constante des rôles et une relativisation extrême des choses.

Dans « Είδωλο », la déformation est exprimée de façon directe au travers d’un jeu entre la vision et le toucher. Le vers « plantes d’intérieur » indique l’espace clos, l’espace dans lequel le poète s’isole des autres. Il renvoie également à un éclairage tamisé. Le contraste lumière – noir, noir - blanc est levé, les images sont complexes et, souvent, trompeuses. Le poète a recours au toucher lorsqu’il s’efforce d’éviter les pièges visuels. C’est également pourquoi nous avons souligné la présence de termes tels que forme, enveloppe et contour, dans ce recueil. Nous notons que, à partir du moment où le moi poétique se déplace de la position « contre » à la position « en face », l’image du monde cesse d’être claire, elle est déformée.

La date de composition du recueil Παραμορφώσεις peut être assez lointaine par rapport à sa dernière édition (1989), il n’en reste pas moins que ses poèmes constituent une présence poétique plus récente de Patrikios. L’article de D. Maronitis « Οι « Παραμορφώσεις » του Τ. Πατρικίου » a très pertinemment montré qu’il est possible de « relire » le poème « Επιμονή μιας πόλης » en suivant les orientations que le poète lui-même nous a données avec le parcours qui est le sien jusqu’à présent. Nous nous efforcerons, à notre tour, de découvrir la dernière, pour le moment, étape de l’évolution du motif thématique qui fait l’objet de notre étude, dans le poème « Ομίχλη. » Cette étape n’est autre que le titre du recueil, à savoir, la déformation. D’ailleurs, le titre du poème lui-même renvoie d’ores et déjà à un phénomène qui empêche la liberté de la vision, contribuant ainsi à déformer le champ visuel.

 

"Ποτέ δε θα, ποτέ, σαν αποβάθρα απόμεινε το στόμα μου

σ' ένα λιμάνι που η θάλασσα τραβήχτηκε, στεγνό

τρύπα μέσα στην πολιτεία νεκροταφείο ρυμουλκών,

ποτέ, το ξέρω, δε θα μπορέσω να σου πω τα όσα ήθελα

που τελικά ίσως κι ο ίδιος τ' αγνοώ, έτσι μες στην ομίχλη

απρόσιτη, εγώ σε κάνω απρόσιτη, βουλιάζοντας

στη βουή των ορυκτών των όρθιων βάλτων

χαμένος πίσω απ' το παραπέτασμα των άλλων

που μόνος μου το φτιάχνω, το παραπέτασμά μου, το φόβο

την ανεπαρκή πραγμάτωση το χάος ανάμεσα στα στήθια σου

κι έτσι βυθίζομαι διαπερνώντας το κορμί σου, μεθώντας

απ' τ' όνειρο που περιβάλλει το δέρμα σου

τυφλωμένος απ' τη νύχτα σου

με τα λάγνα χέρια μου μεταμορφωμένα σε ψάρια

τις ώρες μου αναποδογυρισμένες μέσα στο δικό σου χρόνο

δίπλα στα σακατεμένα εργοστάσια χωρίς απόφαση ή παραίτηση

μέσα σ' αυτό το σύννεφο από καπνιά και θειάφι

τα μάτια σου το βαθύ τρακτέρ

δυο φεγγάρια όρθια με γοργές σπαθιές

οι δρόμοι κατρακυλώντας μες στους φούρνους

το ατσάλι σκάβοντας τη σάρκα

μια μακρινή ανάσα σου πάνω στα κρηπιδώματα

ξεφτώντας σαν εισιτήριο για μιαν ασήμαντη διαδρομή

φιλί οι αρβύλες μες στη λάσπη σιωπή δεν κόπασε το αίμα

καθώς τρέχανε τα αίματα στο μέτωπο τα μάτια τα ρουθούνια

βλέπαμε ο καθένας μας τον κόσμο αλλιώς παραμορφωμένο".

 

(« Jamais je ne, jamais, comme un quai ma bouche est restée / dans un port d’où la mer s’est retirée, sèche / un trou dans la cité cimetière de remorqueurs, / jamais, le sais, je ne pourrais te dire tout ce que j’aurais voulu / que, finalement, j’ignore moi-même, ainsi dans le brouillard / inaccessible, c’est moi qui te rends inaccessible, sombrant / dans le bruit des minéraux des étangs debout / perdu derrière le rideau des autres / que je crée moi-même, mon rideau, la peur / la réalisation insuffisante le chaos entre tes seins / et ainsi je m’enfonce en traversant ton corps, en m’enivrant / du rêve qui t’entoure la peau / aveuglé par ta nuit / de mes mains lascives transformées en poissons /mes heures renversées dans ton propre temps / à côté d’usines mutilées sans décision ni renonciation / dans ce nuage de suie et de soufre / tes yeux le profond tracteur / deux lunes debout aux coups d’épée rapides / les rues dévalant dans les fours / l’acier creusant la chair / un souffle à toi lointain sur les digues / s’effilochant comme le ticket d’un trajet insignifiant / baiser les godillots dans la boue silence le sang ne s’est pas arrêté / comme coulait le sang sur le front les yeux le narines / nous voyions chacun le monde autrement déformé. »)

 

En étudiant la structure et la syntaxe du poème, nous notons qu’il existe une épine dorsale qui est constituée d’une multitude de participes, actifs et passifs. Il mérite de souligner deux caractéristiques fondamentales de cet axe, a) l’ensemble des participes exprime l’annulation et la déformation. L’annulation est, par exemple, signifier par les termes : s’enfonçant, perdu, mutilés, dévalant, s’effilochant. La déformation est exprimée par les termes : s’enivrant, aveuglé, transformés, renversées, mutilés, creusant, b) à partir d’un point, il y a quasiment autant de sujets qu’il y a de participes. Jusqu’au verbe 13, le sujet et le moi. A partir du vers 14, les sujets changent constamment décrivant un monde qui change et se métamorphose constamment, un monde fluide. Le dernier vers est la rencontre de tous les sujets (moi, le monde, nous) et l’aboutissement de tous les participes en un seul qui en résume le sens : « ...nous voyions chacun le monde autrement déformé. » Il s’agit du regard du poète, de la façon dont il voit le monde.

En outre, la lumière est quasi-inexistante, la nuit domine. A la seule exception des vers 18 et 19 qui, après le changement par rapport à la première écriture, deviennent le centre et le seul point lumineux du poème. En outre, l’absence de participes dans ces vers est caractéristique. Ils expriment un certain espoir –le tracteur a toujours un sens positif dans l’œuvre de Patrikios – et la force provenant de l’amour qui, néanmoins, demeure inaccessible. Les mots « debout » et « coups d’épée » sont indicatifs.

Ainsi que nous l’avons mentionné dans la préface de cette étude, le motif thématique que nous avons analysé a été choisi parmi plusieurs autres, aussi importants. Il serait également intéressant, par exemple, d’étudier le parcours de thèmes tels que :

- la musique, les sons et les voix combinés au silence et à l’absence de sons

- la négociation de l’élément liquide et, particulièrement, de la mer.

- la fonction du couple d’opposés exil – retour.

- le rôle du paysage de la campagne et de la ville.

- la fonction de la mémoire et du temps. »