Karyotakis Kostas
 
Biographie
 

Costas Karyotakis est né à Tripoli, en 1896.  Entre 1913 et 1917, il étudia le droit et, en même temps, s’inscrivit à la Faculté de Philosophie de l’Université d’Athènes, sans achever ses études. Très tôt, il apprit le français et, plus tard, l’allemand. En 1919, il éditera avec un ami à lui la revue satirique Γάμπα. En 1920, il est nommé fonctionnaire au ministère de l’intérieur et servit dans plusieurs préfectures du pays. Pour éviter les mutations, il fut affecté au ministère de la prévoyance sociale. Ainsi, il eut l’occasion de voyager en Italie et en Allemagne, en Roumanie et en France. Il fut muté à Patras, sans aucune justification de la part de son service et, ensuite, à Préveza.  Ce fait le plongea dans le désespoir, puisque la petite ville provinciale manquait totalement de vie intellectuelle. Parfaitement déçu de la vie et en l’absence du moindre espoir, fut-il minime, d’élévation intellectuelle, vivant dans un environnement triste et insipide de tout point de vue, dégoûté de son entourage et portant en lui l’angoisse de mort, il composa le poème « Πρέβεζα » (Preveza) et, ensuite, mit fin à sa vie, en juillet 1928, âgé d’à peine 32 ans.

Sur la scène des Lettres, il fera son apparition très tôt puisque, à l’âge de quatorze ans, il se distingue dans un concours organisé par le journal Διάπλασις των Παίδων (Formation des Enfants). Son premier recueil de poèmes, Ο πόνος των ανθρώπων και των πραγμάτων (La douleur des gens et des choses), fut publié en 1919 et est influencé par le symbolisme. Suivit le recueil Νηπενθή (Nipenthi) (1921), primé lors d’un concours de poésie, en 1920. Ces deux recueils sont, d’une certaine manière, la suite du climat romantique de la première Ecole d’Athènes dont la principale caractéristique était la mélancolie. En outre, dans ces premiers poèmes, l’on retrouve quelques-unes des caractéristiques fondamentales de la poétique de Karyotakis : vieillesse psychique précoce, le caractère éphémère de la joie, la nostalgie du paradis de l’enfance, la suggestion symbolique, la douleur, la tristesse et une langue peu orthodoxe. 

La seconde période comprend le recueil Ελεγεία και Σάτιρες (Elegeia kai Satyres) (1927), où le poète acquière sa propre voix et devient représentatif de sa génération et de son époque. Il exploite autant que possible sa connaissance du symbolisme allemand et, en même temps, pénètre la réalité grecque moderne qui, comme il écrivit dans une lettre, est compatible avec son propre pessimisme plutôt qu’avec d’autres attitudes optimistes. Dans la collection Ελεγεία και Σάτιρες l’on distingue toutes les caractéristiques de sa poésie : le sentiment d’impasse face à l’oppression du pouvoir, la prise de conscience de la solitude de l’homme, le manque d’idéaux. Grâce à la satire, il arrive à exercer une critique très violente sur le système social qui est dominé par les fonctionnaires bureaucrates et les hommes qui s’y soumettent sans protester. Dans la quasi-totalité de ses vers, le lecteur note un esprit sarcastique particulièrement acerbe et une ironie impitoyable qui ne se suffit pas de la surface mais pénètre à une profondeur telle qu’elle rappelle la satire d’Aristophane. Dans ses deux dernières collections de poèmes, Karyotakis intégra des traductions de poèmes français et allemands.

La mort du poète a marqué son œuvre et validé la conception qu’il avait du monde. Avec sa fin tragique, Karyotakis créa une légende autour de sa personne dans l’espace de la littérature grecque. Avec son œuvre, il exprima sur le mode le plus authentique l’ambiance de décadence, de pessimisme et de déception. Contrairement à Palamas, Sikélianos et Varnalis, Karyotakis ne croit pas au rôle du poète-prophète qui inspire le respect et guide la société. Dans ses poèmes, il exprime l’impasse qui existe dans le rapport entre la poésie et la vie, l’individu et la société. Il montre ce gouffre non seulement par le contenu de ses poèmes mais aussi par leur forme, en perturbant la métrique traditionnelle du vers amenant ainsi un relâchement du rythme. De cette façon, le poète prépare la voie pour le vers libre qu’adopteront les poètes de la génération de 1930.  En ce qui concerne la langue, Karyotakis mélange des termes de la katharévoussa et de la démotique, surprenant ceux qui croyaient en la langue pure de la poésie.

La poésie de Karyotakis est sérieuse, sans coquetteries ni sentimentalisme.  Elle rejaillit le désir de vivre mais aussi le sentiment de la réalité, la frustration, la vanité, l’impasse. Karyotakis alla au-delà du réalisme psychologique de la génération de 1880 et proposa un réalisme « néocitadin » qui, enrichi de ses vécus de fonctionnaire, devint bureaucrate. Bien que le poète ne s’intéressa pas de façon active à la politique, il y vit, comme dans toutes les autres fonctions de la société, une cause de la dépravation et du sous-développement culturel du peuple. Le poème «Στο άγαλμα της Ελευθερίας που φωτίζει τον κόσμο» (La statue de la Liberte qui eclaire le monde)  est caractéristique de la satire politique de Karyotakis. Les plus jeunes poètes de sa génération imitèrent l’écriture de Karyotakis (« karyotakisme »), sans pour autant atteindre l’art supérieur de leur modèle.

Outre l’œuvre poétique, Karyotakis laissa également des textes en prose et d’excellentes traductions. Son œuvre en prose est limitée, mais la majorité des textes qu’il composa s’éloignent des caractéristiques formelles de l’écriture en prose et s’approchent de la prose poétique. Son œuvre en prose probablement la plus importante, «Τρεις Μεγάλες χάρες»( Trois Grandes faveurs), se retrouve dans toutes les anthologies de prose.