LA TRADITION RENOUVELÉE ET LA LITTÉRATURE DE L’ENTRE-DEUX-GUÈRRES (1910-1945)
 

Au cours des premières décennies du vingtième siècle, en même temps que l’ancienne poésie traditionnelle est en plein essor, principalement représentée par l’œuvre poétique de Palamas et de sa génération, des littéraires apparaissent qui sortent des sentiers battus et renouvellent la poésie.  Ces poètes ne ressemblent pas entre eux et ne constituent pas une école, chacun d’entre eux étant un cas particulier.  Néanmoins, ainsi que note Costas Stergiopoulos, ils présentent quelques caractéristiques communes: « L’esthétisme grec antique et l’ « hellénolatrie » évolueront en une mise en valeur fertile de leurs connaissance de la Grèce antique et à un centrage – à l’exception de Kazantzakis- sur  Solomos et les sources néohelléniques.  Ils puisent tous des thèmes centraux ou des motfs thématiques dans l’Antiquité.  Ils sont, par ailleurs, caractérisés par le mouvement vers la synthèse, une vision plus générale et une conception universelle de la vie, faits exprimés par la conception et la réalisation de longues œuvres ambitieuses (Απολλώνιος de Melachrinos, Alafroiskiotos de Sikélianos, Το φως που καίει et Sclavoi poliorkimenoi de Varnalis, Οδύσσεια de Kazantzakis). Une caractéristique supplémentaire qui se retrouve chez la majorité d’entre eux est le caractère social qu’adopte leur œuvre, par la suite.»

 

Apostolos Melachrinos, Angelos Sikélianos, Markos Avgeris, Costas Varnalis et d’autres contribuèrent de façon décisive au renouvellement de la poésie, au début du 20ème siècle. Dans l’orientation poétique du dernier, l’on eut distinguer deux périodes : celle d’avant 1922, où les influences du Parnasse sont particulièrement évidentes, et celle d’après 1922, où sa poésie est influencée par l’idéologie politique du marxisme.

 

Le poète alexandrin Constantin Cavafy constitue un cas absolument à part, bien que du point de vue chronologique il aurait pu être intégré à la génération antérieure.  En effet, vivant à Alexandrie et loin d’Athènes et de l’influence de ses poètes, il crée un style entièrement personnel. Sa poésie est dénuée des formules lyriques traditionnelles et, souvent, atteint la prose. La profondeur des concepts de sa poésie combinée à l’excellent maniement de la langue créent une poésie supérieure qui, bien qu’initialement ce ne fut pas le cas, fut reconnue par la critique qui lui accorda la place qui lui convenait.

 

En même temps que les poètes précités, une nouvelle génération de littéraires apparaît, porteuse d’un ton poétique différent: Romos Filyras, Napoléon lapathiotis, Costas Ouranis et, plus tard, Kléon Paraschos, Tellos Agras, Mitsos Papanikolaou, Costas Karyotakis, etc.,  «font», ainsi que note Costas Stergiopoulos, « qu’un tournant  décisif soit pris par notre tradition poétique et deviennent les vecteurs d’une sensibilité nouvelle.»

 

Ces poètes de l’entre-deux-guerres, tout en ne constituant pas un groupe uniforme, créent une nouvelle tendance, pourrions-nous dire, celle du néoromantisme et du néosymbolisme ; avec les changements qu’ils apportent, mélangeant les mesures et les rythmes, ils troublent les eaux de l’orthodoxie de la tradition, préparant ainsi le terrant pour les nouvelles tendances.

Aucours de cette période où ils vivent et composent, l’espace grec vit des évènements politiques dramatiques pour l’Hellénisme, avec le désastre de l’Asie Mineure, qui marqueront également la vie et la production intellectuelle.  Devoir enterrer la Grande Idée, avec les innombrables réfugiés qui ont suivi et les conditions sociales et politiques adverses de l’époque ont profondément influencé l’œuvre des poètes de cette génération. Leur œuvre poétique est caractérisée par la fatigue psychique et la difficulté de s’adapter à la réalité de la vie. Ils expriment plus ou moins le sentiment de la frustration et de la décadence qui, fréquemment, révèle des tendances à l’autodestruction. Le pessimisme et l’esprit antihéroïque caractérisent, à quelques rares exceptions près, leur poésie. Costas Karyotakis est le poète par excellence exprimant ce climat, et son attitude est également adoptée par d’autres poètes (« karyotakisme ») tels que Maria Polydouri, Mitsos Papanikolaou, Tellos Agras.

 

Au cours de la deuxième décennie de l’Entre-deux-guerres et après, un vent de renouveau souffle sur la poésie. Les poètes abandonnent les caractéristiques intérieures et extérieures (rime, mesure, suite logique, etc.) et utilisent de nouveaux modes d’expression (vers libre, associations, etc.) Le courant du surréalisme, qui apparut en France en 1924 avec le manifeste de son fondateur André Breton contribua de façon décisive à ce changement, de même que le courant du symbolisme qui était apparu en Europe quelques décennies auparavant.

Le surréalisme fut le mouvement le plus avant-gardiste et atteint non seulement la littérature mais, aussi, plusieurs autres domaines de l’art. Le surréalisme avait pour but de transcender le monde réel en enregistrant la poésie des actes inconscients de l’âme et de ses impressions oniriques, sans l’intervention de la raison. En même temps, il visait au renouvellement de toutes les valeurs morales, de la philosophie et de la science. Selon les surréalistes, qui sont fortement influencés par la psychanalyse, l’artiste ne doit pas rester emprisonné dans la réalité de la vie quotidienne ; il doit utiliser l’imagination, le hasard et l’inconscient pour atteindre une hyper-réalité. Les poètes surréalistes les plus importants sont Andreas Empeirikos et Nikos Engonopoulos ; plusieurs poètes postérieurs en furent influencés.

 

Cependant, le représentant majeur du renouveau marqué dans la poésie de l’époque fut Giorgos Séféris qui apparut en 1931 avec le recueil Virage, dont la majorité des poèmes évoluent dans l’ambiance du Symbolisme et de la poésie pure. Avec Virage, Séféris a introduit une nouvelle poésie qui exprimait les nouveaux courants et les développements ayant lieu dans le discours lyrique européen.  La contribution d’Odysseas Elytis fut, elle aussi, déterminante quant au renouvellement de la poésie, principalement du point de vue de sa thématique, puisque son œuvre, contrairement à celle de Karyotakis, exprime l’optimisme et l’amour pour la vie.

Le parcours de Takis Papatsonis est également à noter, remarquable et quelque peu différent, dont les œuvres sont caractérisées par une profonde foi religieuse et, plus généralement, par la foi en les valeurs supérieures de la vie. Dans la même ambiance que Papatsonis, la poésie de Melissanthi est parcourue d’intenses vécus religieux et de l’angoisse concernant le sort de l’existence. L’œuvre d’autres poètes, tels que Giannis Ritsos, Nikos Kavvadias, Nikiforos Vrettakos, Nikos Gatsos, etc., évolue dans ce même esprit du renouveau.

 

Dans le domaine de la prose, en plus de l’étude des mœurs, qui a été mentionnée au chapitre précédent, le roman social se développe également avec pour principaux représentant Constantinos Chatzopoulos et Constantinos Théotokis.  Les deux auteurs, lors de leur séjour en Allemagne, entrèrent en contact et adoptèrent les idées socialistes qui eurent une profonde influence sur leur œuvre.  Les auteurs « hellénocentriques », Periklis Giannopoulos, Ion Dragoumis, Pinelopi Delta et Nikos Kazantzakis, évoluent dans une autre ambiance. 

 

La prose et, plus précisément, le roman, le genre moderne par excellence, connaît également un développement après le désastre de l’Asie Mineure (1922) et jusqu’à la fin de la deuxième Guerre mondiale (1945). Le désastre de l’Asie Mineure et l’échange des populations sont des évènements qui exercèrent une profonde influence sur les littéraires de cette génération mais aussi sur toute la vie intellectuelle, politique et sociale de la Grèce moderne. La Génération de 1930, ainsi qu’elle fut appelée par la critique philologique, exprime en littérature le climat de la déception des espoirs que nourrissait la génération précédente quant à la restauration de l’hellénisme aux frontières de l’ancien état byzantin (La Grande Idée) mais aussi la nouvelle maturité qui, entretemps, fait son apparition. Les jeunes prosateurs se tournent vers de nouveaux aspects de la vie, entreprennent de retracer des états psychologiques plus complexes et d’aborder des problèmes sociaux et humains plus graves, tout en ouvrant leurs horizons au-delà des frontières nationales. La création d’une nouvelle époque s’imprime dans la prose, au cours de cette période. Les conflits politiques et sociaux, la formation de la société citadine, les recherches nouvelles de l’individu. Les romans citadin, historique et moderne seront le fruit de ces recherches.

 

Dans l’ensemble, l’on peut parler de deux tendances quant à la forme : la tendance réaliste, qui exprime la suite et le renouveau de la tradition et est représentée par les prosateurs d’Athènes (Stratis Myrivilis, Kosmas Politis, Ilias Venezis, Giorgos Théotokas, Angelos Terzakis, etc.) et la tendance moderniste qui exprime surtout les nouveaux courants européens et est représentée par les prosateurs de Thessalonique (Stelios Xefloudas, Giorgos Delios, Alkiviadis Giannopoulos, Nikos Gavriil Pentzikis, etc.).

 

La prose moderniste, qui fera son apparition en Grèce avec quelque retard, s’éloigne des formes traditionnelles de la prose réaliste et se distingue par son intrigue ouverte et libre. Le roman moderniste, plus particulièrement, accorde dorénavant la priorité au monde intérieur et à la subjectivité de l’individu et non à la réalité extérieure et sociale. Le monologue intérieur et les associations libres, de même que l’introspection, l’analyse psychologique et la réflexion sont surtout cultivés et prennent le pas sur la représentation de la réalité extérieure.

 

L’équipe de la revue Μακεδονικές ημέρες de Thessalonique, avec Stelios Xefloudas, Giorgos Delios, Alkiviadis Giannopoulos, Giorgos Vafopoulos, Nikos Gavriil Pentzikis et d’autres écrvains comme Giannis Skarimbas, Melpo Axioti, Giannis Beratis, traduisent des œuvres avant-gardistes d’auteurs européens (Virginia Wolf, Thomas Mann, James Joyce, etc.) et intègrent dans leurs œuvres des techniques opposées à celles du réalisme.  Ils cultivent le monologue intérieur et le flux de la conscience.  Le monologue intérieur est un nouveau type de narration qui a été introduit pour la première fois par Edouard Dejardin et qui a pour objectif de conduire à la surface le dlux ininterrompu de pensées, d’images, de souvenirs, d’associations qui traversent l’esprit du personnage central.  Avec le monologue intérieur, l’auteur s’efforce d’introduire le lecteur dans la vie intérieure du héros, comme s’il n’y avait aucune espèce d’intervention de l’écrivain.  Le flux de la conscience a été utilisé pour la première fois par James Joyce.  A l’aide de cette technique, l’auteur s’efforce de donner au lecteur l’impression du flux continu de pensées, de sentiments, de dispositions et de souvenirs, tels qu’ils viennent, mélangés, dans la conscience, sans cohérence logique.

 

Après la troisième décennie du 20ème siècle, de sérieux efforts sont entrepris afin d’apporter le renouveau du théâtre néohellénique. Plusieurs parmi les prosateurs de la génération de 1930, comme Théotokas, Terzakis et Prevelakis, s’intéressent au théâtre et composent des pièces à caractère principalement historique. En même temps, avec la maturité et la réflexion qui les caractérisent, ils se tournent également vers la critique et, qui plus est, cultivent le genre difficile de l’essai. Des poètes et des prosateurs majeurs, tels que Séféris, Elytis, Terzakis, Théotokas mais, aussi, Andreas Karantonis, G. K. Katsimbalis, V. Varikas écrivent des essais critiques.

 

 

Α. Auteurs : trente-et-un (31)

Β. Textes : quarante-et-un (41)

1. Poésie : vingt-quatre (24)

2. Prose : treize (13)

3. Théâtre : un (1)

4. Critique : un (1)

5. Essai : deux (2)

C. Langue des textes : Démotique.

 

 

 

 

Les auteurs de la Période 

       
Axioti MelpoKarantonis AndreasMelissanthi (Ivi Skandalaki)Sikelianos Aggelos
Beratis GiannisKarelli ZoïMyrivilis StratisTerzakis Aggelos
Chatzopoulos KonstantinosKaryotakis KostasPapanikolaou MitsosTheotokas Giorgos
Doukas StratisKavafis KonstantinosPapatsonis TakisTheotokis Constantinos
Ebeirikos AndreasKavvadias NikosPolitis KosmasVarnalis Kostas
Eggonopoulos NikosKazantzakis NikosPolydouri MariaVenezis Ilias
Elytis OdysséasLapathiotis NapoleonRitsos GiannisVrettakos Nikiforos
Gatsos NikosLoundemis MénélaosSarantaris GiorgosXefloudas Stelios
Karagatsis M.Melachrinos ApostolosSeferis Giorgos 
 
 Bibliographie